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Berwin Sydney | Anprent Berwin

Elle a léché ses doigts… j’ai cru à une déclaration d’amour

Invité à une soirée guinéenne, j’ai découvert que l’amour ne se dit pas toujours avec des mots. Une Okra Soup. Un geste. Et un frisson. Voici le récit.

On dit que l’amour passe par l’estomac. Mais ce soir-là, c’est une main pleine de sauce et un regard en silence qui m’ont tout raconté.

Poivron rouge coupé en deux, en forme de visage humain expressif, utilisé comme métaphore visuelle pour illustrer l’intensité sensorielle d’un plat traditionnel africain partagé dans le récit gastronomique de Berwin Sydney
Le goût a parfois une bouche plus expressive que la nôtre.

Il y a des gestes qui marquent plus qu’un « je t’aime », qui laissent un frisson, un doute, une étincelle dans la mémoire.

Un après-midi d’automne, le 2 octobre, des collègues m’invitent à célébrer la fête nationale de la Guinée. Connu pour mon appétit culturel, je ne pouvais pas manquer un tel rendez-vous. Tout un spectacle, c’était quasiment Conakry en plein cœur de Barrhaven à Ottawa.

Le décor est bien planté. La célébration débute avec une ponctualité dont seuls nous, les Africains, avons le secret. Il est 18h15 : danses traditionnelles, éclats de voix, rituels empreints d’histoire et d’orgueil national. Mais c’est à partir de 21h45, que tout a basculé. On nous appelle à table. Le moment tant attendu. L’instant où la fête quitte les corps pour s’inviter dans les assiettes.

Dans une cuisine où flottaient des parfums de gingembre, d’oignon doré et du feu de bois, on s’installe. La table est servie, les bougies sont allumées pour l’ambiance, mais aussi pour chasser l’odeur des épices. Je me retrouve en face d’une jeune femme à la peau d’ébène, le regard rieur mais concentré, parée d’un pagne en bazin teinté, drapé avec l’élégance de celles qui n’ont rien à prouver, mais tout à offrir. Une reine digne du royaume des mandingues. Et c’est là que le spectacle dans le spectacle commence véritablement.

Ma vis-à-vis, magnétique et absorbée, était là, concentrée sur son assiette, les yeux fermés, les mains pleines de sauce. Une scène sans filtre. Une offrande sincère.

Et puis, le geste. Subtil. Naturel. Presque sacré.

Elle a léché ses doigts. Un par un. Lentement. Comme si chaque phalange récitait une prière, chaque goutte de sauce un mantra. Et sa bouche, le sanctuaire. Le regard perdu dans ce somptueux enchaînement, entre transe et lucidité, j’ai cru… qu’elle me disait quelque chose. À moi. Pas avec des mots. Mais avec ce goût qu’elle prolongeait. Avec cette intensité-là. Ce moment suspendu où le temps s’arrête et où tout devient sens.

J’ai osé une question maladroite : « C’est bon? »

Elle a levé les yeux, a souri. Puis a répondu, avec la bouche pleine : « Honnêtement… j’aurais pu dire oui, rien que pour cette bouchée. »

Autant te dire que mon cœur a sauté un tour. Ce qu’il y avait dans cette assiette? C’était la fameuse Okra Soup guinéenne, une sauce gombo onctueuse, accompagnée d’un fufu, léger comme une caresse. Ce jour-là, j’ai appris que la nourriture peut être une langue. Une façon de dire je suis là, je me régale, je me dévoile.

Parce qu’en vérité, ce moment n’était pas juste une histoire de bouffe. C’était une histoire d’attachement, de liberté, de sensualité assumée et de plaisir sans permission.

Elle ne cherchait pas à séduire. Elle vivait pleinement son moment, un moment de bonheur. Et moi, spectateur ému d’un rituel culinaire devenu presque érotique, j’ai compris que ce n’est pas dans les mots qu’on tombe amoureux. C’est dans les silences habités.

Et parfois, il suffit d’un doigt… ou deux…